
Le manuel de savoir vivre, laborieusement rédigé par la petite marquise de P. sous la houlette de sa gouvernante, est formel : un homme galant jamais, au grand jamais, ne montera ou descendra un escalier derrière une femme. Quel outrage également ce baise-main que certains prennent au pied de la lettre ! Deux attitudes qui vous vaudront les foudre de l’être dont vous souhaitez être aimé.
Mais alors, pourquoi lui tient-on la porte ? Pourquoi lui ouvre-t-on la porte de sa voiture ?
Pour ne pas actionner la poignée, une femme est-elle manchot ou particulièrement stupide pour se demander ce qu’est cet objet étrange ? Ou bien, on tente de nous le faire croire, est-elle une petite chose fragile qu’il faut protéger, en premier lieu d’elle-même. C’est ainsi qu’en France, les dames ont attendu 1965 pour avoir le droit d’ouvrir un compte en banque sans demander l’autorisation au mari.
Non, rien de tout cela.
La galanterie n’est pas seulement une pratique, c’est un état, une évidence ancestrale, celle de reconnaitre l’intelligence de la femme. Attention, ne dites jamais à une femme qu’elle est intelligente, c’est lui laisser entendre qu’elle est laide. Non, un homme galant adopte les comportements appropriés, à commencer par une écoute active. Cela consiste à montrer à quel point vous appréciez la conversation en, au moins, posant des questions, et, au mieux, appliquant avec plaisir les conseils promulgués. Vous en ferez un exposé circonstancié à la prochaine rencontre, prouvant ainsi votre intérêt indéfectible. Pour accompagner l’écoute, il y a le regard et le langage corporel. Un léger signe de désir, sans insistance, peut être bienvenu si le moment est opportun, ce qui n’est pas si simple à détecter. Il faut pourtant le tenter, même au risque de se tromper et gâcher tout le travail précédent.
Vous l’avez compris, la galanterie est autant affaire de respect que de séduction. Il faut les deux pour se faire aimer.

Tenir la porte est ainsi plus facile à comprendre, n’est-ce pas ? On décharge l’intelligente de considérations bassement matérielles. Si vous la laissiez faire, elle vous oublierait. Elle regarderait l’oiseau qui lui inspire son prochain poème, elle se blesserait en cognant la porte de la maison car cet algorithme récalcitrant l’empêche de dormir ou elle vous rayerait la portière de votre voiture avec le bout de son parapluie car elle admire le derrière bien ferme de l’homme qui passe – faites grand cas du vôtre messieurs, c’est le premier regard que l’on porte sur vous. Ainsi donc, par respect et par désir, tenez-lui la porte et laissez-là passer. Vous serez au moins sûre qu’elle ne partira pas vagabonder sous d’autres cieux et vous aurez peut-être l’occasion de lui effleurer la main, voire la taille, avec ce léger sourire qui flatte, mais pas trop (voir le paragraphe sur l’écoute).
Ce n’est pas un cours de sociologie, ce n’est pas seulement le manuel de la petit marquise dont je vous épargne la lecture fastidieuse – la première étape consiste à trouver les mots car l’ouvrage est écrit sans espace ni ponctuation avec une orthographe aléatoire. C’est surtout le témoignage, celui de mes amies, femmes du monde depuis mil ans. Je me permet une parenthèse concernant une hypothétique galanterie populaire. Si l’homme du peuple était galant, je dirais qu’il commencerait par travailler au moins moitié moins qu’une femme – je sais, je suis très ambitieuse – au lieu de la regarder faire sans la voir. Il porterait la marmite à défaut de tenir la porte inexistante de la chaumière ouverte à tout vent.

La femme aurait ainsi du temps pour s’exprimer et l’homme pourrait donc faire cas d’elle, qui sait ? Je vous renvoie à nouveau au paragraphe sur la qualité d’une écoute.
Dans tous les cas, si la femme se sent comprise ou si elle cherche à attirer votre attention – oui, cela arrive mais peut-être pas pour les mêmes raisons que vous -, elle pourra vous dire, droit dans les yeux, que vous êtes beau. Et cela, même si c’est la première fois que vous vivez une telle expérience. Vous y croiyez, quelle aubaine ! Elle sais qu’ainsi elle obtiendra de vous exactement tout ce qu’elle veut. Si vous en douter, je vous conseille la lecture de la pièce de théâtre de Giraudoux, l’Apollon de Bellac.
Attention, de votre côté, ne dites jamais à une femme qu’elle est belle. Soit elle le sait et qu’y gagnez-vous ? Au mieux du mépris. Soit elle est affreuse et elle croit que vous vous moquez. Dans tous les cas, l’une et l’autre s’en défendront car il y a toujours quelque défaut à se reprocher : un nez trop long ou trop court, des cheveux trop frisés ou trop raides, une poitrine trop discrète ou trop encombrante, et ainsi de suite.
Vous êtes toujours avec moi ? Il le faut avant d’aborder la question de l’escalier. Relisez si c’est nécessaire.
Je passe rapidement sur le baise-main. Il est épouvantable, répugnant, odieux, intolérable, si vous tentez, ou pire, réussissez, à embrasser la main qu’on vous tend. Non, non et non. Vous prenez délicatement les trois doigts que l’on vous offre pour avancer lentement cette main vers vos lèvres, ni trop loin ni trop près, de telle sorte qu’elle croise votre regard obligeant. C’est une attitude qu’elle appréciera autant que votre patience à tenir cette porte alors qu’elle prend un temps fou à avancer. Je vous sens légèrement tendu si l’objet de son attention est une jolie paire de fesses. Soyez stoïque et intelligent – oui, je suis sûre que vous en êtes capables -, adoptez un sourire de connivence qui signifie que vous appréciez également. Cette ambigüité rajoutera à votre charme.
L’escalier ? Ne vous énervez pas. J’y viens. Vous avez bien tout lu ? Vous êtes sûr ?
Je vous sens émoustillé… Bien plus qu’elle, même si elle a apprécié vos gestes jusqu’à présent. Qu’espérez-vous d’elle ? Avec tous ces efforts, vous pensez peut-être qu’il est temps de lui proposer la botte. Vous savez bien que non et il faut absolument que vous reteniez ce désir qui pourrait vous submerger.
Imaginez maintenant que vous passiez derrière elle dans la montée de l’escalier. Quel meilleur endroit pour voir les jambes des femmes n’est-ce pas ? Surtout avant 2013 – non, je n’ai pas faire d’erreur sur la date – si elle respectait la loi qui lui interdisait le pantalon.
A quoi pensez-vous alors que vous portez leurs courses aux vieux voisins du sixième étage ? N’aimeriez-vous pas avoir les mains libres ? Et qu’en feriez-vous ? Une bêtise messieurs, une bêtise. Fâcheuse. Tous vos efforts jusqu’à présent seraient vains. Réfléchissez un instant – oui, vous pouvez remettre votre cerveau à sa place ; avec un peu d’entrainement, c’est tout à fait possible, je vous l’assure. Vous réfléchissez donc. Et oui, bravo, il faut que ce soit la femme qui vous désire ! Alors si vous continuiez votre inspection délicieuse et remontiez jusqu’à la nuque, dans quel état arrivez-vous devant la porte de vos vieux voisins ? La langue pendante et la queue au garde à vous ? Alors que cette femme, qui a les yeux derrière sa tête bien faite en rajouterait par un « Mon dieu, quelle chaleur » en retirant son ravissant petit haut orange, simplement pour savoir à quel point vous supporter l’épreuve. Elle rit sous cape ou franchement en fonction de votre état. Si elle déçue de si peu de tenue, elle se demande, et c’est terrible n’est-ce pas, comment elle a pu vous demander de l’aide pour porter les courses de vos vieux voisins. Et vous, vous n’êtes qu’un niais, un désastre !
Maintenant, imaginez l’inverse, elle monte derrière vous. Vous avez mis votre jean droit, et surtout pas ces tues-l’amour de leggings masculins qui vous rendent flasque même si vous êtes bien fait (je n’ai jamais compris cette mode qui a duré quelques années en même temps que les jeunes filles portaient un short plus court qu’un string). Vous avez mis en valeur votre postérieur donc – et si vous n’en êtes pas fier, portez un costume italien, la coupe est toujours parfaite (si vous n’avez pas les moyens, cessez de lire et reportez-vous au paragraphe homme du peuple) -, votre chemise ou votre polo qui souligne votre carrure – un homme est un triangle sur patte nous sommes d’accord – et qui valorise votre nuque, qu’elle soit fine ou large. Ensuite optez pour une paire de chaussures anglaises cirées comme il faut, ni trop ni trop peu, que vous soyez en costume italien ou en jean*. Je vous en supplie, oubliez les costumes gris avec une chemise rose à fines rayures bleues, une cravate à motifs et des chaussures molles car c’est confortable. D’ailleurs, vous ne seriez même pas dans l’escalier ou plutôt seul, désespérément seul. Il y a le short avec des sandales et des chaussettes… J’hésite… A priori une faute de goût impardonnable mais avec le sourire ravageur du beau gosse et l’humour qui l’accompagne, je crois que je l’oserais (je grince des dents mais on s’amuse derrière moi, je craque).

Que se passe-t-il arrivés chez les voisins ? Je vous laisse écrire la suite, j’en ai assez fait. Un indice : il se peut qu’elle vous prenne les sacs de course des mains pour les déposer ou les jeter devant la porte des vieux voisins à moins, mais c’est plus rare et seulement si vous avez suivi mes instructions à la lettre, qu’elle vous arrête entre deux étages et vous oblige à descendre – devant elle – en souriant sans équivoque. Elle vous touchera à peine l’épaule (si elle faisait plus, envoyez-là au paragraphe populaire) et vous rattrapera d’une main ferme à chaque marche. Vous êtes bien fragile et il faut vous protéger. Compris ?

Si jamais rien de la sorte ne se passe et qu’il vous faut descendre stoïquement, ne perdez pas espoir. Vous passez toujours devant. Ne lui faites pas supposer que vous êtes là si elle tombe. Encore que… En référence à son intelligence, elle pourrait penser à autre chose qu’à poser un pied devant l’autre.
Mais non, vous êtes sobre, droit, un demi-sourire sur les lèvres – vous croyez qu’elle ne vous voie pas ? – et avez travaillé votre musculature. Ni trop ni trop peu, toujours la même nuance que vous avez maintenant intégrée. Vous pouvez ainsi espérez qu’elle se laissera tenter à désirer caresser votre dos, voire plus.
Vous l’aurez compris, j’en ai plus qu’assez qu’on tente de me laisser passer dans l’escalier, sinon dans l’espoir de partager ma couche, j’ai passé l’âge depuis fort longtemps, mais par respect et séduction, ou tentative de, car on espère ainsi obtenir une bonne note, un peu d’amour filial ou l’espoir de devenir votre belle mère. Il me faut faire preuve de mil ruses pour ne pas vexer le jeune homme (s’il est vieux, le cas est désespéré) en lui laissant le passage. Quant au baise-main, je me défends d’offrir ma main depuis une cinquantaine d’années que le peuple songe à être galant. J’en frémis d’horreur.
O et puis finalement zut, lisez plutôt Pierre Desproges, le Manuel de savoir-vivre à l’usage des rustres et des malpolis. Homme vieille France ou homme du peuple, nous y gagnerons tous !

*je ne suis pas tout à faire sûre pour les chaussures anglaises. Je crois que depuis une centaine d’années, les mocassins siéent au jean mais je n’aime pas, affaire de goût.
rigolo ! je vais diffuser autour de moi.
Aux jeunes surtout 😄
De bon matin me suis levée et dans mon lit j’ai regardé. Cet article sur le masculin qui tente de se retrouver ses marques. Et sur le féminin gentiment moqueur. Hi hi !
Ds bises sœurette
😉
Et heu…pour info l’homme doit toujours passer derrière la femme dans l’escalier (au cas où elle tomberait, ses bras vigoureux la rattraperait) hé hé !
Surtout pas malheureuse ! A la descente, il se met devant pour cette raison dit-on. A la montée, certainement pas ! Et puis rappelle-toi la dernière fois où tu es tombée de l’escalier en montant ? Tu avais bu combien de gin tonic ? Le gars a ta suite est d’ailleurs tombé le premier et il ne t’a même pas servi de matelas. Non ma jeune sœur (tout le monde est jeune pour moi depuis mil ans), passer derrière une femme dans l’escalier est non seulement une goujaterie, c’est parfaitement inutile (en plus d’être contre-productif). Dans le doute, je te prêterais le manuel mais internet fait aussi l’affaire.
Mais c’est vrai, la règle est risquée si l’arrière du monsieur est à tomber. Dans ce cas, il vaut mieux prendre l’ascenseur.