Je m’appelle Rosenitha Jimepiere, je suis née un peu avant l’an mil dans une Europe en plein essor.
Je fus abbesse car le monastère était le seul lieu où les femmes pouvaient s’instruire. J’aurais pu me marier à l’un de ces pillards et assassins anoblis par le royaume comme le fut mon père. J’ai préféré écouter les conseils de mon oncle à qui la robe sied à merveille : « Choisis le couvent, la jouissance du savoir n’a pas d’égal ». J’ai ainsi pu lire, débattre avec les érudits du monde entier, chanter et écrire pour les moniales et nos visiteurs. Les hommes s’approprièrent mes œuvres et brillèrent en société. Tel est le tribu du beau sexe… Peu importe, je m’amuse follement et depuis plus de mille ans, je raconte des histoires. Le conte conserve.
Alors que de nombreux couvents disparaissent et que les autres deviennent intolérants, je prends la route. Je traverse les plaines, les déserts, les montagnes et les océans jusqu’à cette contrée que mes congénères nomment Australie. Telles n’est pas ma surprise et ma joie de rencontrer de grands savants itinérants et poètes depuis la nuit des temps. Ils chantent, dansent et peignent cet immense territoire qu’ils cheminent dans tous les sens, d’un site sacré à l’autre. Ils m’ont invitée à partager leurs promenades qui n’en finissent pas, leur nourriture épouvantable, leurs cérémonies mythiques et leurs peintures envoutantes. Ils ne sont pas plus fatigables que moi et possèdent cet humour acéré qui m’enchante. Mes camarades Aborigènes m’ont sauvée de l’ennui.
Et puis, sans crier gare, de jeunes gaillards de la vieille Europe débarquent et prennent ma place dans le cœur de mes amis. Je serais jalouse s’ils n’étaient pas une aubaine : ils ont besoin de moi pour relater leurs aventures.
Je souhaite conter ces dernières en détail depuis quelques dizaines d’années, j’ai d’ailleurs tous les scénarios prêts… Toutefois… Aucune histoire n’est terminée…. Le temps n’a pas prise sur moi mais mes joyeux drilles, eux, vieillissent. Je suis donc pressée et je n’en suis pas coutumière. Qui plus est, je n’arrive pas à rentrer dans le vif sans les avoir présentés. J’ai essayé. Plusieurs fois. Rien à faire. Ils sont trop spéciaux, ont des vies si tourmentées, sont si heureux dans leurs malheurs, ont toujours été fous dans les circonstances les plus tragiques, pardonnent – et pourtant, parfois… Bon, passons – et sont si précieux que je ne peux pas les entrainer dans des histoires s’ils n’ont pas eux-mêmes raconté la leur. Ils m’en voudraient.
Et bien je rame. Je commence, j’efface et je recommence. Je me relis. J’arrête. Je fais des fautes – nous étions moins exigeants sur l’orthographe et la grammaire à mon époque. Je fais lire, mes lecteurs me corrigent. Ils ont raison mais c’est une raison de plus pour prendre du retard. Pour réduire les risques, je tente de faire simple comme utiliser le présent et la première personne du singulier. J’ai un peu de mal, je ne respecte aucune règle. Mais je l’impose à mes protagonistes. Oui mais mais mais mais mais mais… Faites que je cesse de procrastiner !
Lily, au secours !
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